Liquidation judiciaire : Une augmentation drastique des dettes peut-elle entraîner la responsabilité d’un dirigeant en cas d’insuffisance d’actif ?

Dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le tribunal peut mettre toute ou partie de l'insuffisance d’actif à la charge des dirigeants de droit (ou de fait) de la société.

Cette action peut être initiée par le liquidateur ou par le procureur de la république. Si le dirigeant a commis une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, ce dernier peut voir sa responsabilité engagée. La faute de gestion peut être constituée à titre d’exemple par le non-respect de la législation, par des négligences dans la gestion ou par l’utilisation des biens de la société à des fins privées. La définition et la preuve de cette faute est cruciale.

Dans une affaire récente soumise à la Cour de cassation, un liquidateur a recherché la responsabilité du dirigeant et a demandé qu’une sanction personnelle soit prononcée contre lui.

Des cotisations sociales et des impôts et dettes fiscales étaient impayés. Les dettes avaient augmenté de près de 200000 euros en un exercice. La Cour d’appel en avait déduit que la faute de gestion tenant à la poursuite de l'activité déficitaire de la société avait contribué à l'insuffisance d'actif. Le dirigeant s’est trouvé ainsi condamné à combler une partie de l’insuffisance d’actif ainsi qu’à une interdiction de gérer.

La Cour de cassation a considéré que la poursuite d'une activité déficitaire ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes.

La Cour de cassation rappelle aussi que la poursuite abusive d'une activité déficitaire n'est sanctionnée que lorsqu'elle est effectuée dans un intérêt personnel et que l'exploitation déficitaire ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

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(Cass. com. 11 décembre 2024 n° 23-19.807, F-B)

La clause de réserve de propriété contenue dans des CGV à l’épreuve des procédures collectives

Une clause de réserve de propriété permet de suspendre le transfert de la propriété sur un bien jusqu'au complet paiement du prix. Un créancier qui bénéficie d’une telle clause, peut agir en revendication après l’ouverture d’une procédure collective.

Qu’en est-il si la société en liquidation a, avant l’ouverture de la procédure, cédé ses créances à une société d’affacturage ? Un fournisseur peut-il obtenir le produit de la vente de biens récupéré par la société d’affacturage ?

Dans une décision récente, un contrat d’affacturage a été conclu en un affactureur et une société. L’affactureur devenait ainsi propriétaire des créances de ladite société à l’égard de sa clientèle.

Quelques temps plus tard la société est mise en redressement puis en liquidation.

Le fournisseur de matériel informatique de la société a revendiqué auprès de l’administrateur divers biens, services et logiciels et, à défaut, leur prix.

L’affactureur avait en effet obtenu par subrogation dans les droits de la société le paiement de certaines créances à l’égard des clients de la société. Le fournisseur a assigné la société d’affacturage en restitution des sommes obtenues.

La Cour d’appel a condamné la société d’affacturage à payer au fournisseur une somme avoisinant les 600000 euros.

La société d’affacturage a formé un pourvoi en cassation sur la base des arguments suivants :

  • La clause de réserve de propriété doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison;
  • Or elle soutenait qu’il existait un contrat cadre entre le fournisseur et la société en liquidation qui ne prévoyait aucune clause de réserve de propriété;
  • Les factures produites par le fournisseur ne reproduisaient pas les CGV au verso, son cocontractant ne les avait pas signées.

La société d’affacturage contestait donc que la société en liquidation ait eu connaissance de l’existence d’une clause de réserve de propriété.

La Cour de cassation a retenu que les conditions générales de vente du fournisseur contenaient une clause de réserve de propriété. Ces conditions générales de vente figuraient systématiquement au verso des factures, sur le site du fournisseur, et la clause de réserve de propriété figurait également dans les conditions générales de vente signées par la société ultérieurement concernée par une liquidation. Cette dernière avait donc accepté la clause de réserve de propriété avant la livraison des biens.

Le contrat cadre signé entre le fournisseur et la sociétéen liquidation ne mentionnait certes pas l’application d’une clause de réserve de propriété. Mais une annexe au contrat cadre mentionnait explicitement que les achats effectués restaient régis par les conditions convenues entre les parties.

La Cour de cassation a donc validé le raisonnement de la Cour d’appel sur l’existence d'une clause de réserve de propriété opposable à la société d’affacturage. Il en résulte que la société d’affacturage a dû régler au fournisseur les sommes importantes que ce dernier réclamait.

La question de l’opposabilité de la clause de réserve de propriété est source de nombreux litiges. La revendication des marchandises faisant l’objet d’une telle clause est soumise à des conditions strictes.

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(Cass. com. 6 mars 2024, n°22-22.651)

Le droit des procédures collectives façon Top Gun : revendication d’un aéronef !

Lors de l’ouverture d’une procédure collective, les propriétaires d’un bien meuble détenu par une société en liquidation, redressement ou sauvegarde, ont la possibilité de revendiquer ce dernier auprès du mandataire judiciaire ou du liquidateur. Ils peuvent aussi en demander la restitution. Ces deux termes désignent deux actions juridiques différentes, soumises à des conditions et des délais différents.

Les différences principales entre les deux actions sont les suivantes :

  • La restitution n’est soumise à aucun délai, tandis que la revendication est enfermée dans un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective.
  • La restitution suppose un contrat publié avant l’ouverture de la procédure.

L’affaire ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation qui a retenu tout particulièrement notre attention concerne un avion. Dieu sait que les procédures collectives appréhendent toute sorte de situations et d’objets. En l’occurrence, la situation n’était certes pas nouvelle mais ne se présente pas si fréquemment.

Une société propriétaire d'un avion avait confié ce dernier à une autre société pour des prestations de maintenance.

La société de maintenance est successivement passée de la sauvegarde au redressement judiciaire, puis à la liquidation.

La société propriétaire de l'avion a cherché à récupérer son bien et s’est adressée au liquidateur pour obtenir la restitution de cet avion régulièrement immatriculé au registre d’immatriculation des aéronefs.

Le liquidateur a considéré qu’il ne fallait pas donner suite à cette demande, considérant le propriétaire forclos. Cela signifiait que l'avion était perdu... La société propriétaire a donc saisi le juge commissaire en restitution de son avion.


Selon le liquidateur, en l’absence de contrat régulièrement publié avant le jugement d’ouverture, la société aurait dû agir en revendication dans le délai légal.

La Cour d’appel a ordonné néanmoins au liquidateur de restituer l'aéronef ainsi que ses équipements et documentation technique et réglementaire. Dans ces conditions le liquidateur s’est pourvu en cassation.


La Cour de cassation a retenu que l’aéronef était inscrit au registre français d'immatriculation et que ce registre est tenu à la disposition du public.

La propriété de l'aéronef étant, par cette immatriculation, opposable à tous, elle est nécessairement opposable à la procédure collective. Le propriétaire n'est ainsi pas soumis à la procédure de revendication. Les arguments du liquidateur ont ainsi été rejetées et la société propriétaire a pu récupérer son avion…

Certains biens spécifiques soumis à un régime similaires échappent ainsi aux limitations des procédures collectives.

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(Cass. com., 27 mars 2024, n°22-14.028)

La paralysie des poursuites en procédure collective : une protection insuffisante pour les dirigeants poursuivis pour fraude

Une procédure collective s’ouvre par un jugement, qu’il s’agisse d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. 

Ce jugement d’ouverture a pour conséquence immédiate d’interdire l'exercice individuel par les créanciers de certaines actions en justice. L’action des créanciers est en conséquence interdite, interrompue ou arrêtée (C. com. art. L 622-21, L 631-14, al. 1 et L 641-3, al. 1). Il existe également une obligation à la charge du débiteur, lorsque ce dernier est parti à un procès au moment où le jugement prononce l’ouverture d’une procédure collective, d’informer le créancier de cet événement. Si le débiteur encourt des sanctions s’il manque à cette obligation, même un tel manquement ne permet pas de contourner la règle selon laquelle les poursuites à l’encontre du débiteur sont suspendues.

La question a été soulevée devant la Cour de cassation de savoir si cette paralysie des procédures concernant la société débitrice pouvait également, dans certains cas profiter au dirigeant de cette société.

La Cour de cassation a déjà considéré en 1994 que cet arrêt des poursuites ne permettait pas de protéger le dirigeant de poursuites engagées par l’administration fiscale.

Dans une décision très récente cette problématique a fait à nouveau débat dans le cadre de poursuites initiées par l’administration des Douanes

La société concernée par cette affaire importait des boissons non alcoolisées qu'elle commercialisait en France. 
 
L’administration des Douanes a constaté que cette dernière n'acquittait pas les droits et contributions indirectes prévus pour ces marchandises par le code général des impôts. Un procès-verbal d'infraction a été notifié à la société et à son dirigeant. 
 
Un avis de mise en recouvrement a été délivré à la société puis au dirigeant. Ce dernier a attaqué l'administration des douanes en justice pour obtenir le dégrèvement du redressement. 

L’argument principal du dirigeant était de dire que qu’il n’existait qu’une seule créance douanière, que la créance contre la société et contre lui était la même, et que de ce fait l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société interdisait qu’il soit poursuivi.

Dans ce cas pourtant, la Douane pouvait poursuivre le dirigeant, même si la société était en liquidation judiciaire, et même si la créance contre la société et le dirigeant était la même. En effet le dirigeant était poursuivi solidairement parce qu’il avait permis de commettre cette fraude. Le dirigeant ne pouvait donc bénéficier d’aucune suspension des poursuites. 

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(Cass. com. 21-6-1994 n° 1462 ; Cass. com. 6-6-2018 n° 16-23.996 ; Cass.com. 29 mars 2023, n°21-21.005) 

Entreprise en difficulté : un exemple récent de refus de conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire

Lorsqu’une société connaît des difficultés, l’ouverture d’une liquidation ou d’un redressement judiciaire peut s’imposer. Dans les deux cas, la société doit être en état de cessation des paiements, c’est-à-dire que son actif disponible ne lui permette pas de faire face à son passif exigible. La différence entre ces deux procédures tient à la possibilité de redressement ou non de cette entreprise. Savoir si le redressement de l’entreprise est, ou non, manifestement impossible relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Ainsi dans un cas où un entrepreneur avait un passif très important depuis plusieurs années et ne présentait aucun plan de redressement les juges ont considéré qu’il était dans l’impossibilité manifeste de se redresser.

A l’inverse, les juges ont estimé que le redressement n’était pas manifestement impossible dans une hypothèse où l’exploitant d’un fonds de commerce percevait des revenus de la mise en location-gérance du fonds et de la location des murs. Ces revenus rendaient possible l’apurement du passif, en dépit du montant important de ce dernier. Dans ce cas la liquidation judiciaire n’était pas justifiée.

Dans la mesure où les deux procédures de liquidation et de redressement judiciaires sont subordonnées au constat de la cessation des paiements, la conversion du redressement en liquidation est subordonnée à l’impossibilité manifeste de redressement.

La Cour d’appel de Colmar a eu l’occasion de se prononcer dans une décision récente à ce sujet.

En l’occurrence la personne concernée par la procédure était un agriculteur éleveur.

Au terme de la procédure de redressement le débiteur restait redevable de cotisations impayées.

Le Tribunal judiciaire a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire, relevant que le débiteur n'avait pas collaboré à la mesure, que son seul passif déclaré était constitué d’une créance de cotisations d’environ 100 000 euros et sa situation active demeurait inconnue.

Le débiteur a interjeté appel de ce jugement, et a demandé à la cour de juger qu'il n’était pas en état de cessation des paiement, de restaurer la procédure de redressement judiciaire, et de prolonger la période d'observation pour un nouveau délai de 6 mois.

Le débiteur a produit son contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’ouvrier agricole, des bulletins de salaire, ainsi que l’attestation d’une personne qui annonçait son intention de signer un bail pour un bâtiment agricole.

La Cour a relevé que l’intention de reprendre son exploitation et la perspective de percevoir des loyers ne permettaient pas de considérer que l’actif disponible du débiteur était suffisant.

Le débiteur se trouvait donc toujours en situation de cessation des paiements.

Cependant, le mandataire judiciaire dans son rapport a exposé

  • Les raisons qui avaient poussé le débiteur à se désengager de son exploitation et à ne pas effectuer les démarches nécessaires pendant une certaine période ;
  • Le fait que le débiteur était à nouveau impliqué et justifiait de sa situation ;
  • Le fait que le débiteur était à la tête d’un patrimoine immobilier conséquent ce dont il était justifié par des extraits du Livre Foncier et un avis de taxes foncières. Il s’agissait en l’occurrence d'un bâtiment agricole et de terres agricoles et prés.

La comparaison du passif du débiteur à la valeur estimée du patrimoine immobilier de ce dernier a permis à la Cour de considérer que le redressement du débiteur n’était pas manifestement impossible. Il n’y avait donc pas lieu de convertir le redressement en liquidation judiciaire.

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(Cour d’Appel de Colmar, 1ère chambre, sect. A, 21 septembre 2022, n° 21/05135)