L’expert-comptable, un lanceur d’alerte en matière d'encours client importants, de relances clients et de délais de paiement ?

L’expert-comptable d’une société est le partenaire du dirigeant. Cependant il ne faut pas se méprendre sur son rôle et sur l’étendue de ses missions et de sa responsabilité. C’est sur ce point que la Cour de cassation vient nous apporter des précisions très intéressantes.

Suite à un redressement fiscal, une SARL découvre des anomalies dans sa comptabilité. L’expert judiciaire désigné à la demande de la SARL conclut à une correction à la baisse de l’actif net comptable de la société en raison d’erreurs affectant notamment les comptes clients.

L’expert comptable de la société a vu sa responsabilité engagée en justice au titre d’un manquement à son devoir de conseil sur la base des arguments suivants :

  • Absence de respect du devoir professionnel de suivi rigoureux des comptes clients; 
  • Absence d’alerte de la société sur les impayés et les délais de règlement trop longs;
  • Avoir fait preuve de négligence dans la présentation aux dirigeants d’une comptabilité d’engagement.

La Cour de cassation a retenu que l’expert comptable avait pour mission la tenue de la comptabilité, une aide à l'établissement des comptes annuels et la présentation des documents fiscaux et sociaux ponctuels et de fin d'exercice.

Tout comme la Cour d’appel, elle a retenu que le devoir de conseil de l'expert-comptable n'impliquait pas d'alerter les dirigeants sur l'importance de l'encours client, les relances clients nécessaires et les délais de paiement.

L’obligation d’information et de conseil d’un expert comptable dépend non seulement des textes, mais encore de la nature de la mission qui lui est confiée et de la lettre de mission qui définit les pourtours de son intervention.

Cette affaire illustre deux "warnings" que tout dirigeant doit garder en tête :

  • L’intervention d’un expert-comptable, si providentielle soit-elle, ne saurait libérer les dirigeants d’une société de leurs responsabilités.
  • La faute d’un expert-comptable, même caractérisée, ne permet pas de facto d’engager sa responsabilité civile professionnelle. Si étonnant cela puisse paraître, la raison juridique en est assez classique : en droit, la perception de dommages et intérêts suppose de caractériser l’existence d’une faute, mais aussi de prouver un préjudice ainsi que le lien de causalité entre la faute et le préjudice…

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(Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 février 2024, n°22-13.899)

Annuler une cession d’actions contrevenant aux statuts : est-ce toujours possible ?

Dans une affaire récemment tranchée par la Cour de cassation, la haute Cour a été amenée à se prononcer sur la mise en œuvre d’une cession d’actions forcée.

Les statuts de la société (une SELAS, soumise pour l'essentiel au même régime que les SAS) comportaient un article concernant des motifs d’exclusion pour manquement aux obligations professionnelles.

Le pacte d'associés stipulait une clause de buy or sell appelée également « clause texane », selon laquelle en cas de non-respect de l'un quelconque de ses engagements par l'une des parties, l'autre peut lui adresser une mise en demeure aux fins de respecter ses engagements.

A défaut de régularisation dans un délai de trente jours, la partie fautive s'engageait irrévocablement, au choix de la partie victime de la défaillance, soit à acquérir la totalité des actions de la partie victime de la défaillance, soit à lui céder la totalité de ses propres actions.

Une des sociétés associée a assigné le président et associé de la SELAS. Pourquoi? Ce dernier n’aurait pas respecté ses obligations (selon le pacte), et la société demanderesse entendait le voir condamner à lui céder ses actions.

La Cour d’appel n’a pas accueilli les demandes de la société. La société a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Selon l’article L. 227-15 du Code de commerce concernant les SAS, « Toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle. ».

Ce texte sanctionne la violation de clauses statutaires qui concernent la cession d’actions « librement consentie par leur titulaire ».

L’article litigieux des statuts portait en l’occurrence sur l’exclusion d’un associé en raison d’un manquement à ses obligations professionnelles. En cela, elle n’empêchait pas un associé de conclure une promesse unilatérale de vente sous condition suspensive de la réalisation d’un événement.

La Cour de cassation a donc cassé l’analyse de la Cour d’appel, qui rejetait les demandes de la société qui tendaient à voir ordonner l’exécution forcée du pacte pour obtenir la cession forcée des actions par le Président et associé.

Ainsi, l’associé n’a pu se prévaloir de la nullité de la cession au prétexte de la clause statutaire. L’article L.227-15 n’a pas vocation à s’appliquer aux hypothèses d’exclusion.

Dans une telle hypothèse, la nullité de la cession pourrait être demandée, mais sur la base d’un autre argument…

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(Cass. com., 21 juin 2023, n° 21-25.952) 

Première énonciation du principe de l’abus d’égalité par la Cour de cassation : les risques de l’association égalitaire en société

Si un associé égalitaire empêche une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de l’autre associé il se rend coupable d’un abus d’égalité.

Deux sociétés par actions simplifiées (A et B) ont créé une troisième société (C) dans laquelle elles étaient associés égalitaires. Cette société C a pour objet le pilotage des transports terrestres d’une quatrième société (D). Les sociétés C et D ont conclu un contrat ayant pour objet la coordination, par C, du pilotage et la gestion du transport des produits de D.

La société D a envisagé de remettre en cause ce contrat. D a demandé à C que lui soit communiquée une proposition d’offre de contrat transitoire. Une assemblée générale des associés de la société C a été convoquée afin de statuer sur cette offre de contrat. L’unanimité n’ayant pas été atteinte, la résolution en question a été rejetée.

Les sociétés A et C ont assigné la société B en justice sur le fondement de l’abus d’égalité et du manquement au devoir de loyauté.

  • Est-ce que l’associé d’une société doit s’abstenir de concurrencer la société dans laquelle il détient une participation ?

NON. Le marché qui était proposé par le prestataire D et que C pensait poursuivre a été remporté par l'associé B, qui avait une activité concurrente à C, la société dont elle était elle-même actionnaire à 50% ! Les négociations avaient même commencé alors que C était encore sous contrat avec D. Les sociétés lésées estimaient que l’exercice de l’activité concurrente et le défaut d’information du co-associé et de la société constituaient des manquements au devoir de loyauté.

La Cour d’appel n’a pas suivi les demandeurs dans leur analyse. La Cour de cassation a rappelé que « l'associé d'une société par actions simplifiée n'est, en cette qualité, tenu ni de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de celle de la société ni d'informer celle-ci d'une telle activité et doit seulement s'abstenir d'actes de concurrence déloyaux. »

  • Est-ce que le fait pour un associé de voter contre la réalisation d'une opération essentielle pour la société dans l'unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de l'autre actionnaire constitue un abus d’égalité ?

OUI. La Cour d’appel a considéré que la société C s’étant soumise à la règle de l’unanimité, elle avait consenti au risque engendré par une situation de blocage de la société.

La Cour de cassation a estimé au contraire que l’abus d’égalité permettait justement d’appréhender une telle situation. Dans une telle configuration chaque associé se trouvant à la merci de l’autre, l’abus d’égalité permet de sanctionner un comportement contraire à l’intérêt social au détriment de la société de l’autre associé.

  • Comment un abus d’égalité est-il sanctionné ?

L’associé victime d’un abus de majorité, tout comme la société dont le fonctionnement est bloqué peut solliciter des dommages-intérêts. Il n’existe pas à ce jour de possibilité d’exclusion de l’associé nuisible, il existe toutefois des solutions pour éviter le blocage complet de la société.

Pour toutes questions concernant la structuration de votre société, une difficulté de gestion ou de prise de décision, vous pouvez me contacter à l’adresse Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..

(Cass. Com. 21 juin 2023, n°21-23.298)

Le pacte d'associés : un contrat de confiance pour une aventure entrepreneuriale sereine

Le pacte d’associés est une convention extra-satutaire qui permet, en fonction des besoins de ses signataires, d’aménager discrètement les relations entre les associés, mais aussi par laquelle il est possible pour seulement certains associés de la société de s’engager. Un tel acte permet également de prévoir des engagements réciproques plus complexes, ou pour une durée limitée.

  • Clauses entraînant la nullité du pacte

Certaines clauses sont susceptibles d’entraîner la nullité du pacte. Ainsi en est-il pour une clause constituant un pacte sur succession future. La Cour de cassation a été amenée à se prononcer à ce sujet dans une décision récente. Dans cette affaire, un père était signataire d’un pacte d’associés avec ses cinq enfants. L’objectif de ce pacte était d’anticiper les conséquences de la perte de la qualité d’associé par le père, afin que le groupe reste dans la famille.

En l’occurrence, le pacte prévoyait les modalités de remboursement du compte courant d'actionnaire du père lors de l'ouverture de sa succession. Il n’était pas question d’autres biens meubles ou immeubles. Il s’agissait d’anticiper la stratégie de gestion des héritiers lors du retrait des affaires du père. L’examen du pacte dans son ensemble a permis à la Cour d’appel d’estimer que cette clause n’était ni essentielle ni déterminante de l’acte.

Cette clause concernant la sortie du père de la société pouvait donc dans ce cas être valablement intégrée dans le pacte.

  • Conditions de validité de certaines clauses du pacte

Certaines clauses sont en outre soumises à des conditions de validité spécifiques, telles les clauses de non-concurrence.

Dans une affaire récente soumise à l’appréciation de la Cour de cassation, la clause de non-concurrence d’un pacte d’associés stipulait que le mandataire social s’engageait, pendant toute la durée de sa présence au capital de la société ou de ses filiales, à ne pas occuper, en France ou à l'étranger directement ou indirectement, de fonctions rémunérées ou non, quelle qu'en soit la nature dans une société ayant une activité concurrente à celles exercées à ce jour ou qui seraient exercées par la société ou par ses filiales pendant ladite durée, ou ayant lien avec l'activité concurrente.

Le mandataire social formulait une demande indemnitaire au titre de cette clause de non-concurrence.

La Cour d’appel a estimé que le fait que cette clause soit insérée dans un pacte d’associés, et non dans un contrat de travail comme c'est souvent le cas en pratique, n'obligeait pas à ce que soit fixée une durée ni une limitation géographique.

Ce faisant, la Cour d’appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle.

Une clause de non-concurrence n'est valable qu'à condition d'être limitée dans le temps et dans l'espace et d'être proportionnée au regard de l'objet du contrat. Ces conditions de validité s'appliquent peu importe le contrat dans lequel cette clause est prévue, contrat de travail ou pacte d'associés.

  • Durée du pacte

Le pacte d’associés doit avoir une durée déterminée. En effet si le pacte est conclu pour une durée indéterminée chaque signataire est libre d’y mettre fin à tout moment sous réserve de respecter les règles régissant la résolution du contrat, par exemple le fait de respecter un délai raisonnable.

Dans la même affaire que celle évoquée dans le premier point concernant le père et ses cinq enfants associés, un article du pacte d'actionnaires prévoyait que le contrat est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Au terme de cette première période, le pacte devait être automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée. A l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pouvait dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l'avance aux autres parties. Selon un autre article, le pacte devait lier et bénéficier aux ayants droits de chacune des parties.

La Cour d’appel a considéré que la société ayant été immatriculée en 1969, la première période du pacte expirait en 2068, donc les descendants des parties ne pouvaient sortir du pacte qu’à un âge particulièrement avancé. L’arrêt en a déduit que la durée du pacte était excessive et a ouvert en conséquence aux partis la possibilité de résilier le pacte unilatéralement à tout moment.

La Cour de cassation considère qu’un pacte d’associés peut être conclu pour la durée de la société, sans que les parties puissent avoir la faculté de résilier. Il est donc possible de prévoir un pacte pour la durée de la société.

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(Cass. com., 30 mars 2022, n° 19-25.794 ; Cass. Civ. 1ère, 25 janv. 2023, n° 19-25.478)

Révocation sans juste motif d’un dirigeant d’une SAS : droit à indemnité ?

La rédaction des statuts de SAS nécessite un soin tout particulier, un des exemples que l’on peut citer concerne la détermination des pouvoirs des dirigeants (Président et Directeur général) et leur révocation.

L’article L. 227-5 du Code de commerce dispose que les statuts des SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. Cela comprend notamment les causes et modalités de la révocation du dirigeant.

Un arrêt de cassation du 9 mars 2022 précise la portée de statuts imprécis.

En l’espèce, un directeur général de SAS est révoqué sans juste motif dans des conditions qu’il affirme brutales et vexatoires. Ce dernier conteste les conditions de sa révocation et sollicite une indemnité.

La Cour d’appel a relevé que les statuts stipulaient que les autres dirigeants que le président « sont révocables à tout moment par l'associé unique ou, en cas de pluralité d'associés, par l'assemblée générale ordinaire des associés sur proposition du président ». La révocation du directeur général n’était pas conditionnée selon les statuts à l’existence d’un juste motif.

La demande d’indemnisation formée sur le fondement des conditions brutales ou vexatoires de la révocation est rejetée par la Cour d’appel.

L’ancien directeur général se pourvoit en cassation. Il fait valoir qu'en l'absence de mention statutaire dispensant la société de justifier d'un motif pour procéder à sa révocation, celle-ci ne peut intervenir qu’en cas de juste motif.

La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette cependant le pourvoi, retenant au contraire qu’une révocation « à tout moment » prévue dans les statuts n’est pas conditionnée à un juste motif. Le dirigeant ne peut donc pas percevoir d’indemnité dans une telle configuration.

Afin d’éviter les litiges, contactez-moi pour affiner la rédaction de vos statuts. Vous êtes confrontés à des difficultés en raison d’une clause laissant une marge indésirable d’appréciation ? N’hésitez pas à me contacter : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..

(Cass. com., 9 mars 2022, n°19-25.795)