Secret des affaires et loyauté de la preuve

Il y a lieu d’être très précautionneux à l’occasion de la production de pièces en justice. En matière de contentieux des affaires, l’arbitrage devra être fait entre la violation éventuelle du secret des affaires et la nécessité de prouver le bien-fondé de ses demandes. Dans une affaire récente, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence en matière de concurrence déloyale.

L'article L. 151-8, 3°, du code de commerce dispose que

A l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :

(…)

Pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national.

Une entreprise exploitante d’un point de vente de pizzas, franchisée, a reproché des actes de concurrence déloyale a une autre franchise et un franchisé du même secteur d’activité.

Les actes de concurrence déloyales portaient sur des délais de paiement excessifs et des prêts contraires au monopole bancaire. La société en demande souhaitait obtenir la cessation de ces pratiques et le paiement de dommages et intérêts. Le concurrent assigné sollicitait quant à lui à titre reconventionnel le paiement de dommages et intérêts pour production au cours de la procédure de pièces couvertes par le secret des affaires.

La pièce en question était un guide d’évaluation des points de vente contenant de nombreux conseils pour permettre aux franchisés du réseau d’améliorer la qualité de leur gestion et la rentabilité de leur point de vente. Ce guide n’avait été transmis qu’aux membres du réseau de façon confidentielle et était un vecteur de transmission du savoir-faire distinctif du franchiseur.

Protégée par le secret des affaires, la production de cette pièce a donné lieu à condamnation par la Cour d’appel au paiement de dommages intérêts en réparation du préjudice moral du fait de la violation du secret des affaires.

La société demanderesse s’est prévalue de l’article du Code de commerce susvisé pour faire valoir par devant la Cour de cassation que la Cour d’appel n’avait pas recherché si la production de cette pièce n’avait pas été faite pour la protection d’un intérêt légitime.

La Cour de cassation a ainsi pu rappeler qu’à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national.

Le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation a ainsi reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la pièce produite n'était pas indispensable pour prouver les faits allégués de concurrence déloyale et si l'atteinte portée par son obtention ou sa production au secret des affaires n'était pas strictement proportionnée à l'objectif poursuivi.

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(Cass. com, 5 février 2025, n°23-10.953)

De l’importance de l’écrit dans l’anticipation des litiges

Les rapports contractuels ne sont pas toujours formalisés par écrit, d’autant que cela n’est pas forcément obligatoire en droit français. Ainsi par exemple contrats de travail, baux d’habitation, et même cessions de fonds de commerce n’obéissent pas à l’exigence de la forme écrite. Et pourtant il vaut mieux s’adjoindre les services d’un avocat expérimenté pour rédiger ou revoir ces contrats.

C’est peu de dire que l’absence d’écrit entraîne une insécurité juridique pour les parties. Dès lors que le cadre juridique de la relation contractuelle n’est pas fixé, les parties prennent le risque de laisser à l’appréciation d’un juge les paramètres les plus essentiels de leur relation. Ainsi c’est au juge qu’il reviendra de déterminer, si les relations entre les parties venaient à se dégrader, en fonction des éléments soumis à son appréciation, de la durée déterminée ou indéterminée du contrat, du prix des prestations, de la date de début des relations, des obligations réciproques, du mode de résiliation du contrat, des indemnités éventuellement dues

La Cour d’appel de Nîmes a ainsi eu à trancher très récemment un litige qui opposait un propriétaire d’une maison à l’occupant de la maison.

Dans le cadre de relations amicales et professionnelles, le propriétaire avait mis à disposition une maison en travaux à un entrepreneur en bâtiment qui démarrait son activité.

En contrepartie de la mise à disposition du logement en travaux, ce dernier devait réaliser la rénovation de la maison ainsi que d’autres chantiers. Une partie seulement des prestations étaient facturées à un taux horaire très en dessous du prix de marché. Le locataire a réalisé progressivement que cet arrangement était à son désavantage, et les relations se sont dégradées jusqu’à ce que le propriétaire assigne l’occupant en expulsion au motif que ce dernier serait sans droit ni titre.

Le locataire a soutenu en défense l’existence d’un bail verbal en produisant de nombreux éléments de preuve, au nombre desquels des photographies, des échanges de SMS, des factures et des témoignages.

Le juge de proximité a débouté le propriétaire de l’intégralité de ses demandes, a reconnu l’existence d’un bail verbal, et n’a pas mis à la charge du locataire d’indemnité d’occupation. Le propriétaire a fait appel de la décision du juge de première instance.

La Cour d’appel de Nîmes a suivi l’argumentaire du locataire, a reconnu l’existence du bail verbal et a débouté le propriétaire de ses demandes tendant à la fixation d’une indemnité d’occupation au motif que le bailleur avait violé les formalités imposées par l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989.

L’absence d’écrit avait permis au propriétaire dans le cas présent de retirer un certain nombre de bénéfices de cette relation contractuelle déséquilibrée. Toutefois cette même absence d’écrit a empêché le proproétaire de sécuriser dans des conditions normales la résiliation du contrat et ses conséquences.

Le cabinet, qui défendait le locataire dans cette affaire en première instance et en appel, a obtenu l’entier débouté du propriétaire et a ainsi évité au locataire de lourdes condamnations.

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(Cour d’appel de Nîmes, 19 décembre 2024, n°23/02050)

L’obligation de conseil du vendeur professionnel

Le vendeur professionnel a une obligation d’information et de conseil. Il doit également pouvoir démontrer qu’il s’est acquitté de cette obligation vis-à-vis de son client, qu’il soit consommateur ou professionnel. Pour satisfaire à cette obligation, le vendeur professionnel doit impérativement se renseigner sur les besoins de l’acheteur. A défaut, le client peut obtenir la résolution de la vente.

Dans une décision récente, la Cour de cassation a eu à trancher un litige concernant une société exploitant un hôtel-bar-restaurant en bord de mer, qui s’est plaint que le mobilier extérieur qu’elle avait acquis s’était rapidement détérioré.

La Cour d’appel avait rejeté l’action en résolution de la plaignante, au motif que le vendeur professionnel avait informé oralement la cliente d’entretenir le matériel livré.

La société exploitant cet hôtel de bord de mer a fait valoir que le contexte spécifique de l’utilisation du mobilier, à savoir une situation de bord de mer, impliquait un entretien lourd et récurrent, ce dont elle n’avait pas été informée.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au motif que la Cour n’avait pas recherché s’il y avait eu manquement à l’obligation de conseil du vendeur.

La Cour de cassation rappelle ainsi « qu'il incombe au vendeur professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue ».

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(Cass.com., 16 octobre 2024, n°23-15.992)

La mise en œuvre de la garantie des vices cachés en matière immobilière

En matière de vente immobilière, et en dépit de toute la vigilance déployée, il n’est pas rare que l’acquéreur découvre des vices postérieurement à la transaction. Le Code civil dispose en la matière que « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. ». En revanche, « Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.» (Article 1642 du même code). Dans des domaines techniques, la question du vice apparent soulève de nombreuses difficultés. L’acquéreur est souvent un non professionnel qui n’est pas en mesure de constater l’existence du vice ou d’en apprécier l’étendue.

C’est la raison pour laquelle la jurisprudence considère que si l’acquéreur n’était pas en mesure de connaître l’ampleur et les conséquences du vice, il peut néanmoins mettre en œuvre la garantie des vices cachés à l’encontre du vendeur. (Cass. civ. 3ème, 14 mars 2012, n°11-10.861)

Dans une décision récente de la Cour de cassation, un couple a fait l’acquisition d’une maison avec piscine. Ils ont constaté après la vente l’apparition de fissures sur les murs et les façades de leur maison, ainsi que sur la piscine. Après avoir fait diligenter une expertise judiciaire, ils ont assigné les vendeurs aux fins d’indemnisations de leurs préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Les fissures affectaient les murs porteurs, les cloisons, les carrelages et les plafonds, dont certaines traversantes. Par ailleurs des failles affectaient la structure du bassin de la piscine. Ces fissures et ces failles avaient pour origine l'inadaptation des fondations au sol d'assise et elles présentaient un caractère évolutif, supposant une période d'observation d'au moins une année.

Les acquéreurs avaient constaté, lors des visites préalables à la vente, la présence de traces de fissures sur les façades. Toutefois ils n’étaient pas des professionnels du bâtiment et n’étaient pas tenus de se faire accompagner par un homme de l'art. Ils étaient ainsi dans l’incapacité d’évaluer l’ampleur du vice et ses conséquences.

Les juges de la haute Cour en ont ainsi déduit que le vice n’était pas apparent, et ont estimé que les acquéreurs pouvaient valablement faire valoir la garantie des vices cachés. Les vendeurs ont dû indemniser les acquéreurs.

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(Cass. civ. 3ème, 14 septembre 2023, n°22-16.623)

Les effets du contrat à l’égard d’un prestataire tiers au contrat : impact de la clause limitative de responsabilité

La responsabilité d’un opérateur économique peut être engagée sur le fondement contractuel ou délictuel.

En présence d’un manquement à un contrat on parle de « responsabilité contractuelle », les clauses de ce dernier trouveront à s’appliquer, et notamment les éventuelles limitations de responsabilité ou réduction de délais de prescription.

A défaut de contrat, on parle de responsabilité délictuelle. Depuis longtemps la jurisprudence considère que le tiers auquel un manquement contractuel a causé un dommage peut invoquer ce manquement sur le terrain délictuel. Ce principe bénéficie au tiers, car il n’a pas besoin de démontrer une faute, il lui suffit d’établir le manquement contractuel.

La Cour de cassation a récemment pris position sur la question de l’opposabilité d’une clause limitative de responsabilité au tiers à un contrat. Cette question est extrêmement sensible, car à défaut d’opposabilité de cette clause limitative de responsabilité au tiers, cela signifie que ce dernier n’est pas soumis aux mêmes restrictions que le cocontractant, alors qu’il peut se prévaloir d’un manquement contractuel.

Dans le cadre du litige soumis à l’appréciation des juges, une société spécialisée dans la production de machines fabriquant des emballages a fait transporter plusieurs machines d’Italie en France. La manutention et le déchargement des machines à l’issue du transport ont été confiés à une troisième société prestataire.

Une machine a été endommagée par un salarié du prestataire en question.

Le contrat contenait une clause limitative de responsabilité, dont le prestataire s’est prévalu. La Cour d’appel a considéré que le prestataire qui avait endommagé la machine ne pouvait bénéficier de la clause limitative de responsabilité.

La Cour de cassation a affirmé pour la première fois dans cette décision de juillet 2024 :

  • que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n° 9) et que s'il établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu'il subit, il n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963, publié au bulletin)».
  • que « le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants».

Les tiers au contrat sont donc à présent sur un pied d’égalité avec les cocontractants, les restrictions contractuelles éventuelles sont également opposables au cocontractant ou au tiers. Les prévisions des cocontractants concernant les risques s’en trouvent sécurisées !

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(Cass. com., 3 juillet 2024, n°21-14.947, Publié au bulletin)