Le congé sans indemnité d'éviction en matière de baux commerciaux : un cas de violence exercée par le locataire

En matière de bail commercial, le locataire bénéficie sous certaines conditions d’un droit au renouvellement de son bail. Le refus du renouvellement par le bailleur ouvre droit à une indemnisation au bénéfice du locataire.

Selon le Code de commerce le bailleur peut toutefois refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'une indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant.

S'il s'agit de l'inexécution d'une obligation, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.

Dans l’affaire ayant donné lieu à une très récente jurisprudence, la propriétaire d’un fonds de commerce de lingerie exploitait son commerce dans un local qu’elle louait.

Le bailleur a fait délivrer à la locataire un « congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime » sans offre d'indemnité d'éviction.

Le Tribunal judiciaire n’ayant pas fait droit à ses demandes, le bailleur a interjeté appel de la décision rendue.

Le bailleur demandait notamment à la Cour d’appel de :

  • constater la validité du congé portant refus de renouvellement et de non paiement d'indemnité d'éviction, la légitimité et la gravité de ses motifs,
  • constater les violations commises par le locataire au titre de son occupation postérieure à l'expiration du bail, et notamment les travaux non autorisés, l'absence de paiement des charges et le refus de laisser le bailleur visiter les lieux.

Les bailleurs ont tout d’abord adressé une mise en demeure circonstanciée. Puis par acte d'huissier les bailleurs ont signifié un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction aux motifs suivants :

- l'occupation indue du sous-sol pendant 14 années ;

- la réalisation de travaux sans autorisation du bailleur ;

- le stationnement systématique et quotidien dans la cour commune du responsable du magasin au mépris du règlement de copropriété ;

- le refus d'accès au magasin opposé aux bailleurs et aux entreprises mandatées par elle pour la réalisation d'expertises ainsi que pour la réalisation de travaux ;

- des actes de harcèlement et de violence ;

- le défaut de règlement du loyer et des charges dans la forme et à la date convenues entre 2007 et 2019 ;

- le défaut de justification spontanée d'une assurance et du ramonage de la chaudière ;

- l'absence d'entretien des locaux.

Selon les juges les faits de violence de la part de la locataire et l'occupation de la cour commune sans autorisation de la copropriété pendant plusieurs mois sont chacun à eux seuls d'une gravité qui justifie le congé sans indemnité d'éviction.

Le congé sans indemnité d'éviction a donc été validé par la cour d’appel. L'expulsion de la locataire a également été ordonnée.

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(Cour d’appel de Rouen, 14 septembre 2023, n° 21/04099)

Mauvaise foi du bailleur commercial : quel impact sur l’acquisition de la clause résolutoire ?

Un bail locatif ou commercial contient généralement une clause résolutoire, qui permet de résilier automatiquement le contrat si le locataire ne satisfait pas à ses obligations.

L’article L145-41 du Code de commerce dispose que le juge peut accorder des délais et suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Dans une affaire récente la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire, et plus particulièrement sur la bonne foi du bailleur.

Une SCI a consenti un bail commercial à une société de carrosserie.

La société de carrosserie a accumulé un important arriéré locatif. Le bailleur a donc demandé en référé l’acquisition de la clause résolutoire pour expulser la société locataire.

Une ordonnance de référé a accueilli les demandes du bailleur en accordant toutefois un délai au locataire pour s’acquitter de ses obligations. Le respect de l’échéancier de 24 mensualités par le locataire lui permettait d’échapper à l’expulsion.

La société locataire a été expulsé. Cette dernière s’est défendue devant le juge de l’exécution, soutenant qu’elle avait respecté l’échéancier de paiement de l’arriéré locatif et que l’expulsion avait été diligentée à tort.

La Cour d’appel a donné raison au locataire lui permettant de réintégrer les locaux.

La SCI bailleresse s’est pourvue en cassation contre la décision de la Cour d’appel. Tout le litige portait sur la mise en œuvre de la procédure d’expulsion alors que la société locataire s’était acquittée du remboursement de l’arriéré locatif en huit mensualités au lieu des vingt-quatre prévues dans la décision. A la date du procès-verbal d’expulsion, un solde de 31 euros subsistait.

Compte tenu de ces circonstances, la cour d’appel a considéré que la clause résolutoire n’avait pas joué car elle avait été invoquée de mauvaise foi par la bailleresse. La bailleresse quant à elle faisait valoir que la mauvaise foi ne la privait pas de la possibilité de se prévaloir de la décision d’expulsion.

La Cour de cassation a tranché dans le sens de la société bailleresse. La mauvaise foi de la bailleresse était indifférente, du moment que le locataire n’avait pas respecté les délais de paiement imposés par le juge, la clause résolutoire était définitivement acquise et l’expulsion légitime.

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(Cass. civ. 3ème, 26 octobre 2023, n°22-16.216)

Vous avez acheté une voiture défectueuse ? Les 5 choses à savoir en matière de garantie légale des vices cachés

  1. La garantie légale des vices cachés ne concerne pas seulement la vente de véhicule mais peut aussi trouver à s’appliquer aux contrats de bail et aux prêts à usage. A noter qu’en fonction des circonstances de la vente, il sera même possible de mettre en œuvre des actions en justice sur un autre argument juridique, notamment si la démonstration de l’existence d’un vice caché devait s’avérer moins évidente que prévue.
  1. Engager la responsabilité du vendeur du véhicule sur le fondement de la garantie légale des vices caché suppose en effet pour l’acquéreur de démontrer l’existence de ce vice. Cette preuve est rapportée généralement par une expertise, qui peut être amiable ou judiciaire. Le choix de l’expertise peut dépendre de la volonté des parties, de la complexité des vices, des montants en jeu. Une expertise amiable contradictoire, c’est-à-dire où toutes les parties ont été convoquées et se sont rendues a une valeur probatoire très forte. A noter qu’une expertise amiable non contradictoire n’est pas dépourvue de valeur probatoire mais il faudra dans ce cas étayer l’argumentaire face au juge. L’avocat joue un rôle déterminant au cours de la procédure d’expertise.
  1. Le vice doit être caché et antérieur à la vente. Pour mettre en œuvre la garantie des vices cachés il faut démontrer l’existence d’un vice rendant le véhicule impropre à son usage ou diminuant tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou en aurait donné un moindre prix s’il l’avait connu. Il s’agit donc d’un vice assez important, l’importance du vice étant documenté par une jurisprudence fournie : existence d’un bruit anormal dans le pont arrière du véhicule, défaut de conception moteur, surchauffe importante du véhicule… Des vices affectant l’agrément du véhicule sont moins susceptibles de permettre la mise en œuvre de la garantie des vices cachés. A noter que l’appréciation de la gravité du vice se fait au cas par cas, et peut varier selon la gamme ou l’état du véhicule. Le caractère caché du vice dépend des compétences de l’acheteur, qui ne doit pas en avoir eu connaissance. Le caractère antérieur à la vente doit également être démontré par l’acquéreur. S’il s’agit d’un vice de fabrication cela sera plus facile. A défaut de défaut de fabrication, et pour peu que l’acquéreur ait déjà pas mal roulé avec le véhicule, cette preuve peut être plus difficile à rapporter.
  1. L’action en justice est soumise à un délai de prescription spécifique. Le délai de prescription est de deux ans à compter de la découverte du vice, ce qui impose à l’acquéreur d’être diligent à compter de la découverte du moindre vice affectant son véhicule.
  1. Cette action permet d’obtenir la résolution de la vente ou la réduction du prix. L’acheteur peut également préférer la remise en état ou le remplacement du véhicule. Des dommages et intérêts peuvent également être exigés, outre ces différentes options. Attention toutefois, les demandes de dommages et intérêts pour être accueillies favorablement doivent être justifiées, à défaut de quoi elles seront la plupart du temps contestées par le conseil du vendeur.

Pour toutes questions concernant l’achat d’un véhicule défectueux ou d’une manière générale la mise en œuvre de la garantie des vices cachés, n’hésitez pas à me contacter à l’adresse Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

L’amour au cœur du prétoire : le dépit amoureux et le droit

La Cour d’appel de Paris a été amenée à se prononcer très récemment dans une affaire de révocation de dons.

Monsieur X et Madame Y ont entretenu une relation amoureuse pendant six années. Monsieur X a, à cette occasion, consenti au versement de différentes sommes d’argent pour un total de 90 000 euros sur une période d’environ trois années.

  • Remboursement d’un prêt

Monsieur X a assigné Madame en remboursement de ces sommes. Il faisait valoir qu’il s’agissait d’un prêt. Aucun écrit ne matérialisait cet accord, mais il faisait valoir l'impossibilité matérielle et morale de se procurer un écrit, au regard des relations amoureuses entretenues.

Madame contestait l’existence d’un engagement de sa part à un remboursement, soulignant l’absence d’impossibilité morale de se procurer un écrit, dans la mesure où préserver ses intérêts n'était pas, selon elle, incompatible avec le fait d'avoir une relation amoureuse. Elle expliquait que la relation ayant pris fin, son absence de réponse n’avait rien d’injurieux.

En matière de prêt, pour obtenir le remboursement, encore faut-il pouvoir démontrer à la fois la remise des sommes et le fait que le bénéficiaire s’est engagé à restitution. L’article 1359 du code civil, prévoit que : « L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. ». L'article 1360 du code civil prévoit que cette règle reçoit exception en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s'il est d'usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l'écrit a été perdu par force majeure.

La Cour a considéré que les relations amoureuses entretenues par les intéressés durant 6 années constituaient une impossibilité morale de se procurer un écrit.

  • Révocation de donation

Monsieur demandait à titre subsidiaire la révocation de la donation pour ingratitude.

Il expliquait notamment avoir sollicité l’aide de Madame sans succès en raison de ses problèmes de santé, ce qui était selon lui constitutif d'une injure grave.

En effet, l’article 955 du code civil prévoit que la donation entre vifs peut être révoquée pour cause d'ingratitude.

La loi vise les cas où le donataire a intenté à la vie du donateur, ou les cas où le donataire s'est rendu coupable envers le donateur de sévices, délits ou injures graves et/ou s'il lui refuse des aliments.

La Cour a constaté que la rupture était récente et que Madame en avait pris l’initiative. Monsieur avait du mal à accepter cet état de fait.

La Cour a considéré que l’absence de réponse aux appels à l'aide de Monsieur pouvait être destinée à éviter toute ambiguïté. Ainsi, le silence observé postérieurement à la rupture n’était pas constitutif d’une injure grave permettant de révoquer les donations pour cause d'ingratitude.

Les émotions seules ne peuvent guider certains engagements pécuniers, au risque de créer de l'insécurité. La sécurité juridique est donc assurée grâce à cette décision. Il existe de nombreux moyens juridiques pour sécuriser et organiser non seulement la vie commune entre concubins, mais aussi les investissements communs qu’ils soient professionnels ou privés.

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(Cour d'appel de Paris, 9 février 2023, n° RG 20/03039)

Restrictions à la libre concurrence : Conséquences financières et pénales des agissements déloyaux d’un ancien salarié

Une société avait pour activité la réalisation et la commercialisation de bureaux de vente destinés à la promotion immobilière. Son directeur commercial a démissionné et a créé, 3 mois plus tard, une société exerçant une activité concurrente en partenariat avec d’autres sociétés.

La première société a assigné l’ancien directeur commercial, sa société ainsi que ses partenaires en concurrence déloyale. Elle lui reprochait « des actes de concurrence déloyale par détournement d’informations confidentielles et de clients ainsi que par débauchage de son personnel et sous-traitance illicite »

La Cour d’appel a condamné la société concurrente créée par le directeur commercial à payer à la société qui l'employait précédemment « la somme de 300 000 euros en réparation des préjudices financier et moral subis du fait des actes de concurrence déloyale, outre une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ». 

La Cour d’appel a toutefois rejeté les demandes formulées à l’encontre de l’ancien directeur commercial. 

La Cour de cassation n'a pas suivi la Cour d'appel sur ce dernier point. La Cour de cassation a relevé que la Cour d’appel avait constaté que l’ancien directeur commercial était à l'origine du détournement déloyal d'informations confidentielles relatives à l'activité de de son ancien employeur, et que ce détournement avait été opéré au profit de la société qu'il avait créée à la suite de son départ, faisant ainsi ressortir la commission intentionnelle d'une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.

Le droit pour le salarié de faire concurrence à son ancien employeur après la rupture de son contrat de travail trouve ses limites lorsque la création de société par le salarié s’accompagne d’actes déloyaux.

La société victime de tels agissements de son ancien salarié peut intenter une action en concurrence déloyale à l’encontre de ce dernier. Elle peut même agir comme dans cette affaire contre le salarié en sa qualité de dirigeant de la société concurrente. L’utilisation de procédés déloyaux pour attirer la clientèle de son ancien employeur vers sa société nouvellement créée peut même déboucher sur une condamnation pénale pour abus de confiance, infracrtion punie d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende selon l'article 314-1 du Code pénal.

Je vous accompagne en matière de concurrence déloyale, n’hésitez pas à me poser vos questions à l’adresse Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..

(Cass. com. 7 septembre 2022, n°20-20.404)